Élisabeth

Page créée le 20 juin 2011, modifiée le 20 janvier 2012.

Élisabeth est le nom d’une de mes tantes, la plus jeune sœur de ma mère. Elle s’est suicidée un jour de juin 1969. Elle avait 23 ans, j’avais 15 mois.

 

Dans mes souvenirs d’enfance, l’évocation de ce suicide apparaît comme une donnée factuelle, un événement objectif de l’histoire familiale. Certes, ma jeune sœur portait son prénom en deuxième prénom et je sentais implicitement qu’il fallait faire en sorte qu’elle ne suive pas un destin similaire. Puis, jeune adulte, rongé par des idées noires, je craignais moi-même de finir comme cette tante, de mettre fin à mes jours.

Pourtant, lorsque j’ai entrepris une psychothérapie, j’ai à peine mentionné Élisabeth. Tout juste l’ai-je évoquée une ou deux fois au cours des deux premières années afin de situer le contexte familial.

Toutefois, au fur et à mesure que certaines blessures mal cicatrisées remontaient à la surface de ma conscience et se réparaient, je me suis approché -sans le savoir- de son souvenir. Le rêve récurrent que je cherchais dans un jardin quelque chose de mystérieux -un trésor ?- est devenu, au fil des mois, de plus en plus net.

C’est un certain matin d’août 2000 que, dans la sérénité studieuse de la bibliothèque de psychologie de l’université de Berkeley, au détour d’une lecture en diagonale, mes neurones ont établi le lien. Un lien que j’ignorais et qui pourtant agissait depuis la nuit de mes temps. Un peu comme la gravité agit depuis bien avant que les humains en aient pris conscience puis parviennent à en rendre compte formellement.

Au fil des semaines suivantes et des échanges avec mes proches, en particulier ma mère, ce lien s’est affirmé sur la scène de ma conscience, dans toute la force de sa cohérence et de ses manifestations émotion-nelles :

J’avais personnellement connu Élisabeth. Elle avait été une étoile qui avait scintillé dans mon ciel initial. J’avais vécu, dans mon être, l’onde de choc provoquée par son suicide.

J’ai alors senti que je tenais une clé. En fait, que je tenais ce que j’avais tant cherché sans pouvoir l’expliciter. Le printemps pouvait commencer. J’ai senti que je me régénérais, que je grandissais psychiquement, m’éveillais.

La thérapie ne s’est pas terminée là. Il y a une différence non négligeable entre cerner une blessure, comprendre le traumatisme qui l’a provoquée, et la réparer. D’ailleurs, l’idée de réparer une blessure a d’autant moins de sens qu’elle est intervenue tôt dans le développement, conditionnant par là les structures psychiques qui se sont élaborées ensuite.

Cependant, on apprend à s’approprier la forme particulière que l’on a prise parce qu’on a vécu tel ou tel événement traumatisant. Avec du temps, des échanges et de la chance, on trouve parfois des techniques pour en atténuer les effets handicapants. Surtout, on découvre que certains effets que l’on trouvait lourds à porter sont potentiellement riches. On découvre que l’idée alchimiste de transmuter le plomb en or a plus de sens qu’elle n’en paraissait…

Let the Sunshine in !